Travailler pratiquement en face du Palais de l’Elysée, où l’on trouve la plus forte densité de policiers et gendarmes au mètre carré, comporte ses avantages et ses inconvénients. Lorsque Kadhafi, le « Guide de la révolution lybienne » se trouve en visite à Paris, les inconvénients prennent vraiment le pas sur les avantages.
Le Palais de l’Elysée se trouve en face du 84, rue du Faubourg Saint-Honoré. A quelques pas de là, au 72 de la même rue, se trouve le parking où est garée ma voiture. Voiture que j’espère rejoindre ce soir là, après une journée de travail, lorsqu’arrivé au 70 de cette rue, un cordon de gendarmes m’arrête net: le Guide est attendu à dîner à l’Elysée d’une minute à l’autre, personne ne passe tant que son convoi n’est arrivé. D’ici quelques minutes me dit-on.
Je tente alors d’expliquer au gentil gendarme que ma voiture se trouve juste un mètre plus loin, mais évidemment rien n’y fait, et me voilà coincé à attendre, avec une dizaine d’autres parisiens, que Kadhafi veuille bien nous laisser reprendre le cours normal de nos vies.
Quinze minutes plus tard, toujours rien, si ce n’est que nous sommes maintenant une bonne cinquantaine de Parisiens, amassés sous la fine pluie, le froid, et le vent de décembre, derrière un cordon de sécurité, de plus en plus impatients, surtout que l’on refuse de nous dire combien de temps ce bloquage peut durer, et d’autant plus irrités que tout ceci nous est imposé pour assurer la sécurité d’une personnalité que beaucoup autour de moi n’hésitent pas à décrire comme le « pire des dictateurs », ou un « voyou sanguinaire », voire tout simplement « le dernier des connards », comme le dit ce vieux monsieur à l’allure respectable qui trépigne d’impatience à côté de moi.
Les gendarmes tiennent bon. Parmi eux, certains laissent échapper un air compatissant, alors que d’autres s’inquiètent de ce que la foule – pourtant en rien semblable à des Hooligans alcoolisés – devienne incontrôlable, échaudée par quelques meneurs zélés tels notre vieux monsieur adepte de gros mots.
Puis la délivrance: une grande limousine blanche entourée d’une dizaines de voitures et de motards s’approche et s’engouffre dans l’enceinte du Palais de l’Elysée. Je peux enfin accomplir ces derniers précieux mètres qui me séparent de ma voiture.
En route vers chez moi, je repense à cet épisode burlesque de la vie parisienne: finalement, que restera-t-il de cette manifestation ponctuelle du mécontentement de la foule parisienne? Pas grand chose si ce n’est peut-être, quelques clichés de photos de Parisiens massés aux abords du Palais de L’Elysées et attendant l’arrivée de Kadhafi. Un organe de propagande lybien pourrait même reprendre ces photos à son compte et les publier accompagnées d’une légende qui décrirait « les citoyens de Paris venus en masse acclamer la venue du Guide. »
J’imagine notre vieux parisien zélé s’étrangler de colère en tombant sur une telle photo.